En 1967, Allan Kaprow, l’artiste américain qui avait inventé huit ans auparavant le terme “ Happening ”, a initié Fluids (“ Fluides ”, fig. 6). C’était un Happening qui se passait simultanément en plusieurs lieux. Il s’agissait de vingt structures rectangulaires en blocs de glace à Pasadena et Los Angeles en Californie, construites en face d’un restaurant McDonalds, dans des parcs de stationnement, sur une propriété à Beverly Hills et d’autres locaux portants des significations symboliques. La construction de ces édifices éphémères a été exécutée par des volontaires de la communauté qui témoignaient de l’effondrement au soleil du produit de leur de labeur. Le travail physique que ce projet demandait était considérable, mais la possibilité de contempler les résultats était fugace. Le travail manuel et créatif des interprètes ne pouvait pas être considéré rentable dans une société aux valeurs capitalistes. Par ce Happening, comme par ses autres performances, Kaprow a essayé d’accroître la responsabilité du spectateur par sa participation à l’acte créatif et futile de l’artiste. Sa stratégie était de transformer le spectateur passif du musée en participant actif l’événement. L’inutilité et la futilité de l’œuvre du participant avec la frustration qu’elles engendrent peuvent être une métaphore del’acte artistique dans une société capitaliste que ne voit pas l’intérêt pour ce genre d’actions.
Kaprow, comme Vostell et Helnwein, appelle le public à réagir d’une façon critique à la réalité, à la situation dans laquelle se trouve la société et à son comportement.
De plus, dans ces trois exemples il est évident que le choix des lieux n’était pas arbitraire. Le facteur lieu joue un rôle important dans l’art performance : ce n’est pas qu’un décor ou un élément fonctionnel dans l’espace mais une partie intégrale de l’événement- comme la glace, les affiches déchirées ou les bandages et pansements. Le domaine public permet à l’artiste de faire passer son message à une plus large audience (même à ceux qui ne visiteront jamais un musée ou une galerie) et d’une manière inattendue qui frappe les spectateurs par son étrangeté dans le quotidien.
Un autre aspect commun à toutes les performances citées est leur nature éphémère. Les actes physiques et créatifs des interprètes peuvent laisser des traces tangibles mais ce ne sont que des documents d’une œuvre d’art ou d’une démarche artistique. La trace visuelle a une autre valeur que l’original. Les actions sont liées au temps et à l’espace, où elles sont mises en scène. Elles sont toujours relatives à la mémoire (sous la forme de souvenirs abstraits dans le cerveau humain du témoigne au souvent dans la photographie). L’ancien argument sur la capacité de la mémoire de transmettre la totalité d’une œuvre d’art est même plus justifié en relation aux actions dans le temps et l’espace qu’aux œuvres stables et durables. Le Happening crée des relations concrètes entre le spectateur et le message qui sont autrement abstraits. Le message qui est transmit par les structures en glace ou par l’emplacement d’enfants blessés dans la rue, par exemple, est unique et singulier et ne peut pas être reproduit ailleurs de la même façon. Le “ pont ” que créé le Happening, en utilisant le terme d’Udo Kultermann , qui unit momentanément le spectateur et l’art ne peut pas être reproduit en image : il doit être vécu.
Et pourtant, tout en admettant des points communs, on peut aussi discerner plusieurs différences capitales entre les deux œuvres citées de Vostell et de Kaprow et celle d’Helnwein. Il est vrai que dans les trois cas il s’agit d’une critique de la société, mais d’après ma compréhension, alors que Vostell et Kaprow critiquent la société de consommation et le capitalisme, Helnwein fait appel à une critique de nature sociale et humanitaire plus qu’à une critique d’un système économique. Helnwein fait référence aux relations intimes entre les membres de la société : il regarde l’individu et sa souffrance, alors que les deux autres artistes parlent de la Société et de son fonctionnement global. Le “ vilain ” fort et abusif d’Helnwein n’est pas nécessairement celui de Kaprow ou Vostell. L’argent n’est pas un argument dans les actions de Helnwein.