International Texts
III.-Gottfried-Helnwein-Un-critique-de-la-socit-a.-Les-enfants.
September 4, 2003
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Université Paris I. Panthéon-Sorbonne
Mémoire de Maîtrise d’Histoire de l'art
III. Gottfried Helnwein –Un critique de la société: a. Les enfants.
Galia Fischer
Le nazisme dans l'oeuvre d'Anselm Kiefer et Gottfried Helnwein.
Dans mon récit, j’ai l’intention de présenter des œuvres de Gottfried Helnwein dans lesquelles il aborde le sujet du nazisme. Cependant, même si le rapport au nazisme dans l’œuvre d’Helnwein est au cœur de ma propre curiosité, il n’est pas nécessairement au centre du travail de l’artiste. D’après ma compréhension, la référence au thème du nazisme dans l’œuvre d’Helnwein fait partie d’un contexte plus vaste de sa vision du monde, que je vais présenter. Si on ignore la totalité de son œuvre et si on se concentre uniquement sur ces nombreux travaux où il parle du nazisme, on risque d’avoir une vision partielle de plusieurs niveaux d’analyse qui sont inhérents à sa pensée. Je vais traiter non seulement les sujets qu’il a choisis d’aborder, mais aussi le contexte historique de sa création qui est aussi significatif en regard de ses choix. Pour des raisons de clarté et afin de mettre en relief mon intérêt personnel pour la représentation controversée du nazisme dans l’art contemporain, je vais traiter séparément les œuvres au sujet du nazisme, sans ignorer naturellement le contexte de leur création.
a. Les enfants.
Helnwein lutte contre l’hypocrisie et la cruauté de la société. Il parle de l’abus universel de l’être humain. A la base de sa représentation se trouvent les enfants. D’après lui, ce sont les vraies victimes de la société contemporaine qui sont constamment exposées et touchées par la manipulation physique et mentale des adultes. Les enfants sont les Martyrs de ce monde violent où nous vivons.
Helnwein qui est né à Vienne en 1948 parle des années de sa propre enfance qui l’ont fortement marqué. Il voit la puissance des souvenirs d’enfance et les traces qu’ils laissent sur l’âme de l’adulte. L’artiste se rappelle encore des années de son éducation élémentaire, où à l’école catholique et à l’église, il était mis en face d’images puissantes des martyrs souffrants, du Christ flagellé et couronné d’épines. Comme il le dit, depuis un âge tendre, il était exposé aux tortures qui avaient subi les Martyrs chrétiens. Le sentiment de culpabilité et la répression, qui pour lui étaient au cœur du catholicisme est un des souvenirs les plus forts qu’il a de son enfance.
L’autre souvenir marquant qu’il a de son enfance, d’un caractère tout à fait différent, est sa première exposition au monde qui lui offrait la bande dessinée. C’était dans les bandes dessinées que l’enfant trouvait une représentation d’un monde “ raisonnable ”, clair et juste- c’était là où il se sentait “ chez lui ”. C’était un univers innocent et coloré, drôle et plein d’aventures, en contradiction avec les images de la vie grise d’écolier d’Helnwein.
Ces germes ont été semés dans sa pensée dès son enfance : la violence infligée au faible, la manipulation de l’innocent et l’abus du vulnérable sont des thèmes qui sont présents dans le travail d’Helnwein tout au long de sa création artistique.
Au début des années soixante-dix le jeune artiste d’une vingtaine d’années commence à travailler sur une série d’aquarelles qui concerne la violence infligée aux enfants.
Gemeines Kind (“ Enfant méchant/ordinaire ”, 1970, fig. 1) présente le visage d’un petit enfant stupéfié qui regarde le spectateur. Son visage est sévèrement blessé : il est couvert de contusions, de sutures, de cicatrices et de sang. Les blessures sont numérotées et étiquetées comme dans un dessin d’un ouvrage de médecine. Elles donnent l’air d’être issues d’un “ détachement glacial ”de la part de leur auteur, comme l’a décrit Andreas Mäckler. Deux éléments dans ce tableau contredisent l’impression scientifique que l’on a au premier regard : l’arrière-plan décoratif de plantes dessinées au crayon et le contenu des inscriptions imprimées démontrent une cruauté infinie. De son front blessé, par exemple, sort une flèche qui indique : “ sich über ZÜCHTIGUNGEN gefreut (ja sie gewünscht & erhofft ) ”. D’une marque de brûlure sur sa joue sort une autre flèche qui dit : “ UNKEUSCHES* a) gedacht b)getrieben c)erduldet ” et d’une suture qui traverse sa joue de la bouche à l’oreille une flèche indique : “ über GESCHLECHTLICHES gesprochen gesporttet & gelacht ”. La cruauté, la violence et la démence sont scandaleuses.
En fait, ce ne sont que les yeux et les blessures qui sont décrites d’une manière réaliste dans cette œuvre. Ce sont le regard impuissant et les plaies inutiles qui attirent notre attention, et nous communiquent la tragédie sans médiateur. La contradiction entre l’enfant aux traits de poupée et ses blessures, entre les traces de la violence décrites en couleurs et les fleurs grises, entre l’innocent et le démon est choquante.
Les blessures physiques de l’enfant qu’Helnwein décrit ont aussi leurs échos internes. Les entailles corporelles peuvent être guéries et parfois même oubliées, mais elles laissent toujours des cicatrices douloureuses au fond de l’âme. Pour Helnwein la peau n’est pas simplement une enveloppe au corps, ni une surface d’inscription des signes de l’apparence extérieure. J’oserai même à appliquer une autre idée d’Henri-Pierre Jeudy à l’œuvre d’Helnwein : dans ses œuvres le “ corps-objet ” est presque toujours transformé en “ corps-texte ”. La souffrance humaine ne se donne pas toujours à voir facilement- il faut savoir la lire à travers la peau, sous l’apparence.
Si c’est bien le cas, il est inévitable que la mélancolie se manifeste dans le travail d’Helnwein d’une façon fondamentale.
Une autre exemple qui n’est pas moins choquante ni moins critique :
Peinlich (“ Embrassant ”, 1971, fig. 2). Il s’agit encore une fois d’une aquarelle aux couleurs douces et au message amer. L’exécution de ce tableau est précise et réaliste et donne une illusion photographique. Au centre de la composition se trouve de nouveau une petite fille en robe rose qu’on aurait pu croire poupée, si elle n’avait pas été si brutalement blessée. Cette fois ci, une estafilade géante s’étire de la mâchoire jusqu’aux lèvres. Ses deux mains sont bandées, ce qui pourrait l’empêcher de feuilleter la bande dessinée qu’elle tient près de son corps. Elle est assise par terre et contemple l’espace devant elle. Son visage ne montre aucune trace de sourire enfantin ou d’espièglerie. Ni sa jolie robe rose, ni ses cheveux bien coiffés, ni sa bande dessinée coloriée ne peuvent cacher le malheur, l’horreur et la violence. Mais l’acte violent n’est pas décrit en lui-même.
La seule consolation que cette petite fille (comme l’artiste lors de son enfance) puisse avoir se trouve probablement dans la bande dessinée, qui décrit un sentiment tout à fait différent de ce qu’elle connaît de son expérience vécue. Elle raconte une histoire d’amour. En outre, c’est l’histoire d’amour d’une femme adulte et physiquement plus grande que la personne qui exprime son amour pour elle- c’est une femme qui choisit et contrôle sa propre vie.
Le spectateur est automatiquement rejeté du tableau, le dégoût est inévitable. Mais quand on reproche Helnwein de la violence exprimée dans son art, on ignore son message : les médias nous ont rendu indifférents aux horreurs, ils ont fait entrer les misérables et les maltraités dans notre vie quotidienne d’une façon répétitive qui nous a immunisés contre l’effet de ces images. Quand Helnwein nous décrit ces thèmes en couleurs pastels et les nomme : “ art ”, il crée délibérément un choc.
L’art de Helnwein ne se ferme pas en lui-même, mais se réfère à la réalité. Il refuse par son art de céder à son embellissement. Les médias prétendent de montrer la réalité telle qu’elle est, mais, en fait, cache au public ce qu’ils ne veulent pas lui montrer. La société ne voit plus les choses telles qu’elles sont mais des images médiatisées qui cachent leur véritable caractère. D’après l’artiste, c’est bien les médias qui couvrent les horreurs d’optimisme et encouragent leur répression . Helnwein présente la terrible réalité sans rien cacher : il montre tout à la faveur d’un cas particulier. Le fait que le public soit dégoûté par les images que Helnwein lui montre, démontre leur puissance : elles touchent un nerf sensible de notre conscience. Le spectateur se trouve piégé par sa propre sensibilité.
Les faits qu’en 1972 son exposition à la Maison de la Presse de Vienne soit fermée trois jours après le vernissage à cause de graves oppositions du public, ou que des anonymes aient collé des étiquettes portant le terme nazi “ Entartete Kunst “ (“ art dégénéré ”) sur ses peintures exposées à la Maison des Artistes de Vienne en 1971 sont assez représentatifs. Pourtant, pour Helnwein cette réaction du public était souhaitable : protestation et colère témoignent assez clairement la force de l’effet qui son œuvre provoque.
Le titre énigmatique de l’œuvre transmet son message. “ Embarrassent ” pour qui ? Pour la petite fille ? Pour le criminel ? Ou bien pour nous- les spectateur qui témoins de la violence mais ne font rien pour l’arrêter ?...
Le thème de la fille comme victime de la société est même plus accentué dans un autre travail d’Helnwein : Sontagskind (“ Enfant du dimanche ”, 1972, fig. 3). Encore une fois ici, il ne s’agit pas d’une image idéalisée d’un enfant, comme celles qui apparaissent dans la publicité. Le tableau nous présente une petite fille debout, devant l’entrée d’un magasin. Les affiches sur la vitre de la devanture indiquent une épicerie : ketchup, cacao et des sucettes roses de vitamines. Ce ne sont pas des produits quelconques mais ceux aimés par les enfants. Le titre se traduit comme “ enfant du dimanche ” mais cette expression a aussi une connotation d’enfant gâté. Sur le coté droit de la fille un petit poussin jaune se balade: il porte un cartable sur son dos et lèche un esquimau. L’image aurait put être idéale si la fille blonde au manteau rose et à la jupe (qui tient une tablette de chocolat, sourit et tire sa langue) n’avait pas porté sur son bras gauche une bande jaune à trois boules noires qui marque les aveugles.
Un regard attentif nous révèle le sang qui coule sur ses cuisses. On est inévitablement mené à se demander si le sang est la preuve d’une menstruation précoce ou d’un viol brutal.
Alors que le titre innocent ne révèle pas le message de l’œuvre, je trouve que l’accumulation des détails décrits ne laisse pas d’espace aux doutes. L’artiste mène une guerre féroce : il ne se contente pas d’allusions subtiles mais prépare des coups directs au spectasteur. Helnwein lutte contre la violence avec ses propres moyens, il l‘expose telle qu’elle est à nos yeux. Il serait un vrai critique de la société d’après la définition d’Adorno : l’artiste éprouve son mécontentement de la cruauté et de la violence qui règnent dans la société comme si lui-même représentait la nature intacte ou comme s’il possédait une conscience morale plus évoluée que le reste de la société, mais en même temps, il assume son appartenance à cette société.
Pour éclairer mon message j’aimerai faire une comparaison avec Sunday (“ Dimanche ”, 1926) d’Edward Hopper (fig. 4). Les points communs entre ces deux tableaux sont assez évidents. Les deux tableaux portent un titre anodin et semblable, qui ne révèle pas ouvertement des messages critiques sociaux ou politiques. La similitude est aussi présente dans la composition : comme dans Sontagskind d’Helnwein, Hopper nous décrit une personne solitaire devant une devanture d’un magasin fermé. C’est un homme à la chemise blanche, aux élastiques tenant les manches, qui est assis sur le bord du trottoir. Le magasin est vide, les stores de la boutique voisine sont baissés et l’homme se repose au soleil. Et pourtant, le sourire naïf de la fille et sa grimace (comme le poussin drôle) sont absents de la composition d’Hopper, qui nous décrit un homme âgé au visage sévère. On a beau chercher une critique sociale dans ce tableau, on ne la trouve pas. Les œuvres d’Hopper n’offrent aucun contenu politique ou social ouvert. Cet homme pourrait bien être le vendeur du magasin, après sa journée de labeur, en train de profiter de son temps libre triste solitaire, mais aussi une vision du monde protestante, un croyant en train de profiter de son dimanche pour une réflexion spirituelle. Alors que chez Helnwein l’horreur est extériorisée, explicite et absolu, chez Hopper le traitement des sujets est plus nuancé, implicite et ambivalent. Hopper ne montre pas un état d’innocence de l’Homme, mais pas celui de l’autodestruction de la société non plus, comme le décrit Helnwein.
Le même discours critique sur la violence, qui est tolérée par la société et le manque de compassion de ses membres, était exprimé non seulement dans la peinture de Helnwein mais aussi dans des Aktionen (“ actions ”) qu’il a initié dès 1971 et jusqu’à 1976 dans le domaine public de Vienne. C’était des actions performatives improvisées en apparence, mais conçues à l’avance, ayant comme interprètes l’artiste lui-même ou des enfants. Ces actions ont été photographiées ou filmées. Ces photographies serviront parfois plus tard comme documentation, mais aussi comme base à d’autres travaux.
En 1976, par exemple, Helnwein s’est installé à une table dans un café viennois, la tête totalement enveloppée de bandages. Lors de cet Aktion, qu’il a nommé “ Aktion Café Alt Wien ”, l’artiste observait l’indifférence des gens à l’égard d’autrui : les autres clients du café l’ont complètement ignoré et ont gardé leurs habitudes propres. Une photo prise lors de l’action représente un vieil homme à sa table en train de lire son journal tout en ignorant l’homme blessé à sa propre table.
Lors de Aktion always prepared (“ Action toujours prête ”, 1973) il s’est allongé dans une rue viennoise toujours avec la tête bandée (fig. 5). L’artiste a observé le même comportement apathique des passants : presque personne n’est venu à son aide- on l’a laissé traîner par terre sans secours.
La performance artistique offre souvent une relation directe entre l’artiste et ses spectateurs. On pourrait dire que le refus de participation de la part des spectateurs involontaires est aussi révélatrice que leur participation. Les raisons de ce comportement pourraient résider en interprétation comique ou ludique des actes, mais peut-être, comme le voyait l’artiste, en indifférence à la souffrance des autres.
De la même façon, il a initié Aktion Weisse Kinder avec quinze enfants. Il a fourni aux enfants des bandages et d’autres instruments médicaux pour qu’ils se bandent et se présentent le soir dans une rue du centre de Vienne. Cet acte radical, qui était comme un jeu pour les enfants , portait un message fortement violent en direction des adultes : Helnwein essaye de “ réveiller ” par un “ traitement de choc ” la masse indifférente qui s’appelle l’Humanité et qui préfère fermer ses yeux pour éviter la vision de ses propres victimes.
L’idée des actes performatifs n’a certainement pas été inventée par Helnwein. C’était déjà les futuristes, les dadaïstes et les surréalistes, entre autres, qui l’avaient pratiquée plusieurs décennies auparavant. De surcroît, c’est bien dans les années soixante-dix que la performance était reconnue comme une technique d’expression artistique et sa pratique s’est répandue. C’était l’époque de la “ royauté ” de l’art conceptuel avec sa préférence des idées aux produits. Pendant la même période en Allemagne le mouvement Fluxus, aux Etats-Unis le Happening et même en Autriche les Actionnistes viennois initiaient des performances artistiques auxquelles les artistes et les spectateurs prenaient part, mais Helnwein dit que pendant cette période il n’était pas au courant de l’existence de ces tendances artistique. De toute manière, qu’il ait été au courant ou pas, je trouve qu’une courte comparaison me suffira pour montrer le caractère spécifique des événements d’Helnwein (comme plusieurs similitudes qu’on ne peut pas nier).
Je prends, par exemple, un événement dé-coll/age de l’artiste allemand Wolf Vostell, exécuté à Paris en 1958: Das Theater ist auf der Strasse (“ Le théâtre est dans la rue ”). Pour cet événement Vostell a préparé une partition avec des indications précises pour le déroulement de l'action divisée en six parties. Dans la première partie, qu’il intitulait : “ affiches déchirées comme des partitions ” l’artiste incitait les participants à lire à haute voix les mots "déchirés" des affiches placées dans la rue. Il fallait lire les textes dans différents sens : en diagonale, de haut en bas, à droite etc. Dans la deuxième partie (qui n'a été jamais réalisée et donc restait conceptuelle) l'audience était priée de ramasser des morceaux de voitures accidentées dans la rue et de les entasser en faisant des sculptures au milieu du carrefour, jusqu'à ce que la circulation devienne impossible... La signification allégorique du dé-coll/age peut être lue comme une commémoration du moment de la destruction du monde - la destruction qui préexiste, et qui domine la société de consommation d’après la Seconde Guerre Mondiale. “ Quand on achète une voiture, on achète aussi l'accident ” disait l’artiste.
Vostell, comme Helnwein agit dans la rue, dans le domaine public. Les deux artistes se confrontent à la réalité d'une façon critique. Ce sont des “ prophètes ” qui démontrent à leurs auditeurs la nature de leur existence, et l’état de leur monde. Ils choisissent la rue parce que c’est justement là où le public ne s’attend pas à trouver des révélations profondes et existentielles. Les deux artistes demandent la participation de l’audience : ils espèrent inciter les spectateurs à se comporter en acteurs, à devenir actifs et conscients. Or, les deux artistes s’expriment avec la violence (affiches déchirées, enfants blessés par exemple) mais ils le font de manières différentes. Alors que Vostell offre à l’attention de ces spectateurs des objets détruits ou en train de se décomposer comme une métaphore de leur existence, Helnwein leur présente la réalité d’une façon plus directe : des êtres humains blessés, dévastés et mutilés.
Une autre différence essentielle entre ces deux critiques de la société réside dans le choix de l’objet de leur discours. Vostell parle plutôt de la société de consommation comme source de mal. En revanche, Helnwein se concentre sur la violence et la cruauté à la base de la nature humaine et aux rapports abusifs entre les divers membres de la société. On pourrait dire que le message de Helnwein est plus universel et moins temporel.
En 1967, Allan Kaprow, l’artiste américain qui avait inventé huit ans auparavant le terme “ Happening ”, a initié Fluids (“ Fluides ”, fig. 6). C’était un Happening qui se passait simultanément en plusieurs lieux. Il s’agissait de vingt structures rectangulaires en blocs de glace à Pasadena et Los Angeles en Californie, construites en face d’un restaurant McDonalds, dans des parcs de stationnement, sur une propriété à Beverly Hills et d’autres locaux portants des significations symboliques. La construction de ces édifices éphémères a été exécutée par des volontaires de la communauté qui témoignaient de l’effondrement au soleil du produit de leur de labeur. Le travail physique que ce projet demandait était considérable, mais la possibilité de contempler les résultats était fugace. Le travail manuel et créatif des interprètes ne pouvait pas être considéré rentable dans une société aux valeurs capitalistes. Par ce Happening, comme par ses autres performances, Kaprow a essayé d’accroître la responsabilité du spectateur par sa participation à l’acte créatif et futile de l’artiste. Sa stratégie était de transformer le spectateur passif du musée en participant actif l’événement. L’inutilité et la futilité de l’œuvre du participant avec la frustration qu’elles engendrent peuvent être une métaphore del’acte artistique dans une société capitaliste que ne voit pas l’intérêt pour ce genre d’actions.
Kaprow, comme Vostell et Helnwein, appelle le public à réagir d’une façon critique à la réalité, à la situation dans laquelle se trouve la société et à son comportement.
De plus, dans ces trois exemples il est évident que le choix des lieux n’était pas arbitraire. Le facteur lieu joue un rôle important dans l’art performance : ce n’est pas qu’un décor ou un élément fonctionnel dans l’espace mais une partie intégrale de l’événement- comme la glace, les affiches déchirées ou les bandages et pansements. Le domaine public permet à l’artiste de faire passer son message à une plus large audience (même à ceux qui ne visiteront jamais un musée ou une galerie) et d’une manière inattendue qui frappe les spectateurs par son étrangeté dans le quotidien.
Un autre aspect commun à toutes les performances citées est leur nature éphémère. Les actes physiques et créatifs des interprètes peuvent laisser des traces tangibles mais ce ne sont que des documents d’une œuvre d’art ou d’une démarche artistique. La trace visuelle a une autre valeur que l’original. Les actions sont liées au temps et à l’espace, où elles sont mises en scène. Elles sont toujours relatives à la mémoire (sous la forme de souvenirs abstraits dans le cerveau humain du témoigne au souvent dans la photographie). L’ancien argument sur la capacité de la mémoire de transmettre la totalité d’une œuvre d’art est même plus justifié en relation aux actions dans le temps et l’espace qu’aux œuvres stables et durables. Le Happening crée des relations concrètes entre le spectateur et le message qui sont autrement abstraits. Le message qui est transmit par les structures en glace ou par l’emplacement d’enfants blessés dans la rue, par exemple, est unique et singulier et ne peut pas être reproduit ailleurs de la même façon. Le “ pont ” que créé le Happening, en utilisant le terme d’Udo Kultermann , qui unit momentanément le spectateur et l’art ne peut pas être reproduit en image : il doit être vécu.
Et pourtant, tout en admettant des points communs, on peut aussi discerner plusieurs différences capitales entre les deux œuvres citées de Vostell et de Kaprow et celle d’Helnwein. Il est vrai que dans les trois cas il s’agit d’une critique de la société, mais d’après ma compréhension, alors que Vostell et Kaprow critiquent la société de consommation et le capitalisme, Helnwein fait appel à une critique de nature sociale et humanitaire plus qu’à une critique d’un système économique. Helnwein fait référence aux relations intimes entre les membres de la société : il regarde l’individu et sa souffrance, alors que les deux autres artistes parlent de la Société et de son fonctionnement global. Le “ vilain ” fort et abusif d’Helnwein n’est pas nécessairement celui de Kaprow ou Vostell. L’argent n’est pas un argument dans les actions de Helnwein.
Une autre différence substantielle réside dans le fait que Vostell et Kaprow, comme il est évident dans les deux exemples que je viens de donner, essayent d’encourager les spectateurs à un acte de création d’une nature artistique ou constructive (déchirer des affiches publicitaires afin de découvrir la poésie du quotidien ou construire un édifice en glace), alors que la demande d’Helnwein vis à vis de ses spectateurs est beaucoup plus “ simple ”, basique et humanitaire : aider l’Autre, faire attention aux faibles, soutenir les maltraités.
La comparaison des actions d’Helnwein avec celles de l’Actionnisme viennois est presque inévitable : ce ne sont pas que des contemporains de l’artiste mais aussi des compatriotes. Les trois figures centrales du groupe Hermann Nitsch, Gunter Brus et Otto Mühl ont commencé leur coopération en 1961 et en 1966 se sont intitulés : Institut für Direkte Kunst (Institut pour l’art direct.)
Comme Helnwein, et d’autres artistes dans les années soixante-dix, les actionnistes viennois incorporaient leurs propres corps dans leurs performances (généralement appelé : “ Body Art ”, art corporel). Hermann Nitsch reproduisait l’esprit des rites dionysiaques et chrétiens de l’antiquité , dans lesquels il s’était fait attacher à un mur comme s’il était crucifié, pendant qu’Otto Mühl déversait du sang sur son corps, ou comme dans d’autres cas, par exemple, il a amené sur scène un agneau dépecé attaché aussi comme s’il était crucifié, puis l’animal était éviscéré sur des femmes ou hommes nus.
La provocation est une caractéristique fondamentale dans les actions de Nitsch et d’Helnwein. Ils s’en servent afin de provoquer des réactions parmi leurs spectateurs, à l’égard de la situation culturelle, politique ou humanitaire. C’est par l’effet de choc et de conflit, et pas par une identification ou séduction, qu’ils espèrent créer une conscience des bases du comportement humain, de ses tabous et de ses angoisses. Ces artistes aimeraient démontrer les techniques de la séduction qui nous manipulent en tant que membres de la Société pour les critiquer. C’est pourquoi, ce n’est pas étonnant, leurs actions sont souvent grotesques, ridicules ou même terrifiantes- ils n’ont pas l’intention de séduire ou d’attirer.
Les Actionnistes viennois s’intéressaient au travail de Sigmund Freud et Wilhelm Reich, en leur analyse du comportement humain comme dicté par des sentiments sexuels réprimés. Ils voulaient montrer à leur audience, par leurs actions violentes et provocatrices, leur conviction que les instincts agressifs de l’humanité avaient été réprimés et étouffés par les médias.
Une grande différence entre Helnwein et les actionnistes viennois réside dans ces idées. Alors que les actionnistes cherchaient à libérer les vraies impulsions réprimées des individus par cette démarche de catharsis, créée par la peur et la terreur inhérentes à leur actions, Helnwein, d’après moi, cherchait à tirer une leçon morale qui concernait les relations humaines dans la société, et à attirer l’attention surl’injustice et l’abus du faible. Je dirai qu’il cherche à enfermer certaines impulsions humaines au lieu de les libérer, comme le voulaient les actionnistes viennois.
Par rapport à la façon directe dont Helnwein attaque ces objets en démontrant les horreurs telles qu’elles sont d’une façon réaliste, Nitsch cherche le symbolique dans tout. Dans chaque objet ou procès concret réside un contenu symbolique inhérent. Les objets tangibles qui sont utilisés ne sont que des codes secrets, des chiffres pour une réalité interne psychique. Son approche est psychanalytique mais aussi mystique (vu les rituels anciens d’une nature religieuse qu’il reproduit).
Galia Fischer
Currently a doctoral student at the City University of New York
galia_f@hotmail.com




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