International Texts
b.-Les-autoportraits.
September 3, 2003
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Université Paris I. Panthéon-Sorbonne
Mémoire de Maîtrise d’Histoire de l'art
b. Les autoportraits.
Galia Fischer
GOTTFRIED HELNWEIN –UN CRITIQUE DE LA SOCIÉTÉ
Si on essaie de comprendre la démarche artistique et critique d’Helnwein, il est nécessaire de prendre en considération ses autoportraits. Les autoportraits sont partis intégrale de sa carrière depuis le début, et forment une clé importante pour déchiffrer de son œuvre. “ L’artiste et son art ne font qu’un dans l’autoportrait. Ils s’expliquent, ils se répondent ”, comme l’a écrit Philippe Dagen. Si on ignore les nombreux autoportraits de Helnwein, on risque de laisser passer inaperçus les messages les plus profonds et capitaux que l’artiste transmet par son art.
Helnwein produit des autoportraits avec différents médias : photographie, peinture, aquarelle, dessin. D’après moi, il se présente presque toujours la tête enveloppée de bandages. En fait, l’usage de bandages que j’ai décrit plus haut dans d’autres contextes, est significatif chez Helnwein. Comme ses enfants blessés, l’artiste se présente comme une victime, à la différence que dans les autoportraits, il est aussi souvent le tortionnaire. Il s’inflige des douleurs insupportables avec des instruments métalliques (comme des fourchettes ou des instruments chirurgicaux) qui ne lui permettent pas d’ouvrir les paupières ou déforment sa bouche. Il est évident que ces punitions sont ridicules et inutiles. On peut s’interroger sur la raison pour laquelle l’artiste se punit sévèrement dans son art : est-ce qu’il se présente comme un artiste blessé, ou blessant, par son art ou la société, ou plus généralement, comme un être humain tourmenté et cruel.
Self-Portrait with Smiling-Aid (“ Autoportrait avec aide-sourire ”, 1972, fig. 7) nous présente l’artiste dont la tête est enveloppée de bandages. Le bandage couvre son front et l’empêche presque de voir, comme il arrive quasiment au niveau de ses yeux. Ses lèvres montrent un sourire. Mais ce sourire est créé artificiellement par deux fourchettes déformées, qui tirent ses lèvres vers ses oreilles, et un autre instrument métallique qui les tire vers le menton. Ce sourire artificiel n’est rien de plus qu’une grimace créée par l’instrument cruel “ aide-sourire ” suggéré par le titre. Mais qu’est ce que c’est que cet instrument ? Qui l’a inventé et pourquoi ? Pourquoi a-t-il besoin d’un outil pareil ? Est-ce qu’il s’agit de la société qui oblige ses membres à se contenter de leur situation malgré leur compréhension ? Qui est le patient et qui est le thérapeute de ce traitement ?
Helnwein nie systématiquement l’aspect autobiographique dans ses autoportraits. Il ne se présente pas comme Gottfried Helnwein l’artiste, ni comme Helnwein l’homme avec son histoire personnelle. Dans ces autoportraits il est un simple modèle, toujours disponible. Il insiste sur le fait que ses autoportraits ne sont pas une forme de thérapie et qu’ils ne révèlent rien sur sa personnalité. Ce sont des portraits d’un être humain représentatif.
Helnwein nie systématiquement l’aspect autobiographique dans ses autoportraits . Il ne se présente pas comme Gottfried Helnwein l’artiste, ni comme Helnwein l’homme avec son histoire personnelle. Dans ces autoportraits il est un simple modèle, toujours disponible. Il insiste sur le fait que ses autoportraits ne sont pas une forme de thérapie et qu’ils ne révèlent rien sur sa personnalité. Ce sont des portraits d’un être humain représentatif .
The Last days of Pompei I (“ Les derniers jours de Pompéi ”, 1987, fig. 8) est un autre autoportrait d’Helnwein, qui le montre la tête bandée. Dans cette œuvre, créée quinze ans plus tard, l’artiste se sert d’instruments chirurgicaux plus élaborés pour infliger la torture. Ils ne lui permettent absolument pas d’ouvrir ses yeux et tirent sa bouche d’une façon qui ne lui permet pas de la fermer ou de la bouger. La personne présentée est non seulement “ aveuglée ” à son entourage, mais il est censé à se taire. Il est privé de sa vision et de tout moyen d’expression. Tout ce qu’il lui reste pour protester contre sa situation est le cri “ abstrait ” sans mots (puisqu’elle est incapable physiquement de les prononcer). Dans cet autoportrait il a l’air avoir la bouche bée, comme s’il restait perplexe ou choqué par sa situation, dans laquelle il ne peut et ne sait pas comment réagir.
L’effet de paralysie est même accentué par le titre qui fait allusion à Pompéi, la ville détruite par le Vésuve. La personne, comme les habitants de Pompéi, reste pétrifiée, impuissante devant le danger. Pour cet autoportrait l’artiste s’est mis en chemise blanche et s’est peint le visage en blanc. On peut se demander si l’habit blanc fait référence à la toge romaine que portaient les citoyens de Pompéi, ou peut-être à une chemise de malade, comme les instruments médicaux font allusion à l’hôpital. De surcroît, il est même possible de penser à un hôpital psychiatrique les patients sont parfois mis en restriction physique, comme l’attachement au lit ou la camisole de force.
L’artiste autrichien Rudolf Schwarzkogler, qui collaborait parfois avec les actionnistes viennois utilisait aussi des instruments médicaux dans son art. Il se posait des questions sur la nature de la violence et la douleur en faisant allusion à sa propre biographie. L’usage des instruments médicaux invoquait son père, qui était un médecin et qui après avoir eu les deux jambes coupées à la Deuxième Guerre Mondiale s’est suicidé.
La chirurgie est aussi au centre du travail d’Orlan avec son art qu’elle nomme : “ art charnel ”. En se faisant opérer par des chirurgiens esthétiques, l’artiste “ donne son corps à l’art ”. Elle transforme son corps et son visage par des opérations, qui lui donnent une apparence exceptionnelle, artificielle, hors des conventions de la beauté idéale dans la société occidentale de notre époque. Orlan exclame qu’elle ne s’intéresse pas au résultat final de ces opérations, mais à ses performances et aux débats qu’ils provoquent. L’artiste féminine ne va pas contre la chirurgie esthétique mais plutôt contre les standards qu’elle véhicule et qui hantent notre société. En transformant le bloc opératoire en atelier d’artiste, Orlan utilise la chirurgie comme un vrai médium dans son œuvre, où le ciseau est remplacé par le scalpel du chirurgien. Par son art elle proteste contre une société dans laquelle des femmes sont obsédées par leur apparence, et se sentent obligées de souffrir énormément pour correspondre aux normes.
Comme Helnwein, Orlan est une artiste socialement consciente, qui essaie par son œuvre de réveiller la foule. Les deux artistes font allusion à la publicité aux médias qui échouent à montrer aux membres de la société la vraie nature de son existence, et qui les rendent moins critiques à l’égard des messages qu’ils transmettent. J’ai donné l’exemple d’Helnwein qui essaie de décrire en détails les plus choquants la violence envers les enfants qui n’est pas montrée à la télévision et surtout pasdans la publicité qui embellit la réalité. De la même manière, Orlan nous expose ce qui se passe entre la photo d’ “ avant ” et “ après ” de la publicité- l’opération médicale, le sang et les cicatrices.
D’après moi, une grande différence dans le travail de ces artistes réside dans l’identification de la victime présumée. Alors qu’Orlan se concentre sur la victimisation de la femme, dans la société occidentale actuelle, Helnwein parle de tous les membres de cette société et surtout des enfants. De plus, Helnwein est préoccupé par une souffrance existentielle, dans un plus large contexte de la vie dans notre société, où l’homme de la rue est une victime innocente obligée de souffrir, alors qu’Orlan parle de souffrances que les femmes s’infligent à elles-mêmes, sans qu’elles soient obligatoirement dictées par la société. Helnwein, comme Orlan, se met dans une situation masochiste, mais il ne pratique pas véritablement l’acte chirurgical et se sert seulement des instruments de façon symbolique.
The Silent Glow of the Avant-Garde I
photograph, oil and acrylic on canvas, 1986, 120 x 340 cm / 47 x 133''
Mais, la peinture de Friedrich s’est donnée à d’autres interprétations. On a vu en elle un symbole de la majesté inabordable de Dieu ou une métaphore de l’immobilisme généralisé en Allemagne, contre lequel Friedrich aurait lutté par sa peinture. Plus généralement, elle était déchiffrée comme une allégorie de l’existence humaine. Et pourtant, la composition de la peinture de Friedrich pourrait dégager une vision optimiste de la situation qu’elle présentait ou critiquait. Les pics du glacier pointent vers le haut et la gauche, comme s’ils indiquaient une direction pour la délivrance, un espoir de libération pour l’humanité.
Helnwein se place des deux côtés de son triptyque habillé en blanc, la tête enveloppée de bandages, portant de grandes lunettes de soleil et couvert de sang. Si on lit le triptyque de gauche à droite, on aperçoit premièrement un homme blessé, couvert de sang qui dirige son regard vers le spectateur. L’homme est dans un état épouvantable et donne l’impression qu’il se présente en face du spectateur, pour lui démontrer sa réalité en suppliant de l’aider. La lecture continue avec la représentation symbolique du naufrage qui s’a heurté le glacier et qui n’a plus d’espoir de secours. La dernière partie du triptyque, sur la droite, présente la même personne saignante, dans le même état, mais cette fois-ci, elle ne regarde plus le spectateur. Comme si elle comprenait que l’assistance ne viendra pas de cette direction, elle lève sa tête et regarde vers le ciel.
Une lecture du même triptyque dans l’autre sens, c’est à dire de droite à gauche, on peut découvrir tout un autre message... L’homme saignant demande secours au ciel, puis, par la métaphore du naufrage, assume la situation universelle et le manque d’espoir et en fonction de cette conclusion, réalise que son dernier espoir est de faire appel à l’humanité, de la regarder dans les yeux, de lui montrer son état choquant pour la réveiller et la pousser à réagir. En effet, je trouve que l’approche d’Helnwein est celle-là en général. Comme je l’ai déjà montré,concernant d’autres œuvres, il essaie de se tourner vers les gens et de leur demander de prendre conscience et de devenir actifs pour changer la réalité. Je crois que, même si ses travaux sont choquants et déprimants, ils contiennent toujours un aspect optimiste qui réside dans la raison de leur création : si on perd espoir en l’influence de l’art, on n’a pas de raison pour créer.
Une autre interprétation qu’on peut donner à ce tableau (malgré la revendication de l’artiste de l’absence de caractère biographique dans ses autoportraits) est comme thème du triptyque “ l’art ”. Lorsque Goethe, en 1816, a essayé de convaincre Friedrich de peindre les nuages d’une façon scientifique d’après le savoir scientifique de l’époque, le peintre a répondu que ça serait “ la mort du paysage ”. En se posant en face de l’appareil photo, couvert de sang, l’artiste Helnwein pourrait nous transmettre sa propre croyance à la mort du paysage, comme à celle de l’art. L’artiste produit des efforts incroyables, qui vont jusqu’au sacrifice de sa propre santé ou vie (comme le démontre le sang) pour sauver l’humanité mais dans la société, telle qu’elle est, il n’y a pas d’espace pour ce genre d’actes. L’art n’a pas le droit d’exister dans une société violente et cruelle.
Autoportrait 7 (1986, fig. 10), démontre un autre aspect des autoportraits d’Helnwein. Alors que dans les autoportraits dont j’ai parlé plus haut, le visage de l’artiste est reconnaissable, même à travers le sang et le bandage, dans cette peinture, qui fait partie d’une vaste série, les traits personnels de l’homme individuel ne sont plus visibles. L’identité physiologique de la personne est maintenant dissolue. Par cette démarche, Helnwein peut plus précisément s’inscrire à sa propre exclamation d’absence de traits personnels dans ses autoportraits : la seule conclusion évidente de cette peinture est qu’il s’agit d’un “ être humain ” qui crie et donc, souffre.
On est presque automatiquement porté à réfléchir au Cri (1893) d’Edvard Munch. On voit une tête indéfinissable, sans chevelure sans sexe définissable, dont la bouche est ouverte en un cri. Comme chez Munch, le spectateur est en face d’une anxiété indéfinissable et terrifiante. les deux têtes ont la forme d’un crâne anonyme. Les coups de pinceau sont expressifs et en mouvement.
On n’a même pas besoin du titre pour reconnaître le modèle caché de la peinture de Helnwein. Si on est familier des autres travaux d’Helnwein, on peut deviner l’origine de cette peinture. Un regard sur les trois derniers autoportraits, que je viens de présenter, encourage l’identification de la figure ici présente avec la tête enveloppée de bandage de l’artiste. On est en face d’un métissage de la forme ovale de la tête sans chevelure et la composition centralisée du portrait devant un fond clair dans ses trois œuvres, les lunettes de Silent Glow of the Avant-Gard et la personne bouche bée de Les derniers jours de Pompéi I. Même si le sang, les blessures, les instruments médicaux et les bandages des autres tableaux ne sont plus visibles, ils sont présents et torturent. La chair saigne et la douleur nuit : l’angoisse est inévitable.
Francis Bacon pourrait servir ici aussi pour éclairer le fond du travail de Helnwein. Bacon comme Helnwein (ou plus correctement dit : Helnwein comme Bacon) est obstiné dans son “ entêtement de représenter une humanité blessée ”, comme l’a écrit Didier Ottinger. Bacon “ torture ” ses objets. Il pratique la mutilation et la blessure, il procède à des opérations chirurgicales. Il expose les déformations de ses objets, il les humilie et les expose dans des poses ridicules. Helnwein, comme montré tout au long de mon récit, s’inscrit dans une démarche semblable.
Bacon voit dans les êtres humains l’essence de la chair : “ nous sommes des carcasses en puissance ”, comme il l’a dis. Notre substance est la viande. La viande humaine, comme la viande animale est livrée aux même lois de la nature. Il essaie de peindre et de montrer le visage tel qu’il est , de pénétrer les masques que pose la réalité de la photographie et d’enregistrer ses sentiments de la façon la plus proche à son système nerveux. Son art ne concerne pas de grandes déclarations sur la nature de l’homme, mais plutôt une expérience vécue personnelle, sa propre réalité, sa vision.
Les autoportraits de Bacon, comme ses autres portraits, possèdent un air tragique et pessimiste (si on souscrit à sa vision, on peut dire aussi : réaliste). Il n’essaie pas de comprendre l’origine des cris qu’il présente, mais les cris mêmes. Helnwein, pour sa part, montre une situation aussi violente et tragique dans ses autoportraits, mais d’après son discours et dans le contexte de ses autres œuvres, on peut constater qu’il voit la source du mal, qu’il la cherche et montre du doigt sa direction. C’est le comportement humain, c’est la violence et l’indifférence envers autrui.
De plus, d’après moi et vu les analyses des autres tableaux que je viens de faire, Helnwein croit encore à la force de l’art de changer et d’améliorer, de réveiller les gens, alors que Bacon conçoit l’art comme une sorte de jeu qui facilite l’évasion de l’homme de la futilité de son existence, comme un moyen de survivre mais non pour révolutionner la société ou le monde.
Cependant, les deux artistes se confrontent à la situation de l’Homme et de l’humanité du présent. D’une façon on peut les considérer comme des “ tableaux historiques ”, qui font référence à leur temps et leur société. Ils le font d’une façon directe, par leurs propres corps, en posant pour leurs autoportraits, chacun à sa manière.
Le nazisme dans l'oeuvre d'Anselm Kiefer et Gottfried Helnwein
Galia Fischer.




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