Mais, la peinture de Friedrich s’est donnée à d’autres interprétations. On a vu en elle un symbole de la majesté inabordable de Dieu ou une métaphore de l’immobilisme généralisé en Allemagne, contre lequel Friedrich aurait lutté par sa peinture. Plus généralement, elle était déchiffrée comme une allégorie de l’existence humaine. Et pourtant, la composition de la peinture de Friedrich pourrait dégager une vision optimiste de la situation qu’elle présentait ou critiquait. Les pics du glacier pointent vers le haut et la gauche, comme s’ils indiquaient une direction pour la délivrance, un espoir de libération pour l’humanité.
Helnwein se place des deux côtés de son triptyque habillé en blanc, la tête enveloppée de bandages, portant de grandes lunettes de soleil et couvert de sang. Si on lit le triptyque de gauche à droite, on aperçoit premièrement un homme blessé, couvert de sang qui dirige son regard vers le spectateur. L’homme est dans un état épouvantable et donne l’impression qu’il se présente en face du spectateur, pour lui démontrer sa réalité en suppliant de l’aider. La lecture continue avec la représentation symbolique du naufrage qui s’a heurté le glacier et qui n’a plus d’espoir de secours. La dernière partie du triptyque, sur la droite, présente la même personne saignante, dans le même état, mais cette fois-ci, elle ne regarde plus le spectateur. Comme si elle comprenait que l’assistance ne viendra pas de cette direction, elle lève sa tête et regarde vers le ciel.
Une lecture du même triptyque dans l’autre sens, c’est à dire de droite à gauche, on peut découvrir tout un autre message... L’homme saignant demande secours au ciel, puis, par la métaphore du naufrage, assume la situation universelle et le manque d’espoir et en fonction de cette conclusion, réalise que son dernier espoir est de faire appel à l’humanité, de la regarder dans les yeux, de lui montrer son état choquant pour la réveiller et la pousser à réagir. En effet, je trouve que l’approche d’Helnwein est celle-là en général. Comme je l’ai déjà montré,concernant d’autres œuvres, il essaie de se tourner vers les gens et de leur demander de prendre conscience et de devenir actifs pour changer la réalité. Je crois que, même si ses travaux sont choquants et déprimants, ils contiennent toujours un aspect optimiste qui réside dans la raison de leur création : si on perd espoir en l’influence de l’art, on n’a pas de raison pour créer.
Une autre interprétation qu’on peut donner à ce tableau (malgré la revendication de l’artiste de l’absence de caractère biographique dans ses autoportraits) est comme thème du triptyque “ l’art ”. Lorsque Goethe, en 1816, a essayé de convaincre Friedrich de peindre les nuages d’une façon scientifique d’après le savoir scientifique de l’époque, le peintre a répondu que ça serait “ la mort du paysage ”. En se posant en face de l’appareil photo, couvert de sang, l’artiste Helnwein pourrait nous transmettre sa propre croyance à la mort du paysage, comme à celle de l’art. L’artiste produit des efforts incroyables, qui vont jusqu’au sacrifice de sa propre santé ou vie (comme le démontre le sang) pour sauver l’humanité mais dans la société, telle qu’elle est, il n’y a pas d’espace pour ce genre d’actes. L’art n’a pas le droit d’exister dans une société violente et cruelle.